dimanche 19 août 2012

Etats dépressifs et crises de mélancolie…( Très complet, peut aider les élèves dans leurs démarches doctorales)

I. Sémiologie

L'état dépressif ne représente pas seulement une entité nosologique mais aussi un symptôme. Autrement dit, il existe des crises de dépression névrotique dans l'hystérie, dans la névrose obsessionnelle mais aussi des crises de dépression dans la schizophrénie ou divers troubles somatiques comme les lésions cérébrales des troubles vasculaires, la tuberculose, le cancer...

Il est important de faire un diagnostic différentiel entre une dépression chronique et des symptômes dépressifs associés à d'autres troubles psychiques ou organiques. De ce point de vue, il est important de prendre en considération les circonstances d'apparition des états dépressifs. Autrement dit, savoir si ces états dépressifs surviennent sous l'influence des facteurs exogènes, émotion, surmenage, conflit ou si ces dépressions semblent être l'émanation d'une structure de la personnalité. Certains font une distinction entre des dépressions endogènes propres à la structure de la psychose maniaco-dépressive et des dépressions névrotiques réactionnelles où on peut mettre en évidence l'influence d'un facteur exogène. Mais il existe des formes de passage entre ces deux types. L'élément le plus saillant de la dépression est la crise de mélancolie.

Elle se caractérise par l'affaissement de l'humeur qui devient triste. A côté de cet état on remarque deux autres phénomènes, d'un côté l'inhibition et la douleur morale, de l'autre les troubles somatiques.

L'inhibition est à la fois intellectuelle, elle touche la volonté et l'affectivité. Comme inhibition intellectuelle on peut remarquer la présence d'idées ralenties, lentes, souvenirs évoqués avec difficulté, la concentration est difficile, la production verbale est elle aussi ralentie. Du point de vue de la volonté, cela peut aller jusqu'à une aboulie totale et un mutisme complet. La perception du monde semble enténébrée et l'atmosphère semble froide, lointaine et irréelle. Les patients souffrent d'indécision. Les soins corporels sont négligés, toute l'activité peut être ralentie et tous les actes de la vie courante semblent demander un effort démesuré.

Les sujets semblent sous l'emprise d'une anesthésie affective, ils n'arrivent plus à s'émouvoir.

Cette crise s'oppose point par point à la crise de manie, c'est un état de dépression intense vécu avec un sentiment de douleur moral caractérisé par le ralentissement et l'inhibition des fonctions psychiques et psychomotrices.

Les circonstances d'apparition : à tout âge mais davantage à des périodes d'involution (passé la quarantaine), plus chez les femmes. Même au niveau de la dépression endogène, on peut mettre en évidence un facteur déclenchant, un choc émotionnel (24% des cas).

La douleur morale : le déprimé se reproche essentiellement de ne plus pouvoir aimer, le sentiment de péjoration vise essentiellement le sujet lui-même. Auto-accusation, sentiment de culpabilité et de honte, danger du suicide.

Les symptômes somatiques ont une très grande importance : insomnies, troubles digestifs, anorexie, nausées, constipations, diarrhées, tension artérielle, troubles neurovégétatifs.

Parfois la dépression est complètement masquée par ces troubles somatiques. La crise évolue en 6-7 mois mais avec la chimiothérapie + les antidépresseurs elle se réduit à 1 mois d'hospitalisation. Pendant la période de convalescence, le risque de suicide est particulièrement fort. Les signes d'amélioration se manifestent par retour du sommeil, de l'appétit, une reprise de poids, une joie de vivre.

Les formes cliniques : une dépression mélancolique simple se caractérise par l'inhibition, l'inaction, l'asthénie, une impuissance pénible mais la douleur morale est réduite. Le risque de suicide persiste et le sujet qui garde un certain dynamisme peut l'accomplir. Cette forme est appelée mélancolie avec conscience.

Mélancolie stuporeuse : l'inhibition psychomotrice est maximale, le malade est figé, mutique, immobile, l'alimentation est très difficile. Le visage est figé dans l'expression de douleur et de désespoir.

Mélancolie anxieuse : agitation anxieuse, intensité de la peur, de l'angoisse, sentiment d'oppression, de suffocation qui permet parfois une allure théâtrale, gesticulation, déambulation, lamentation. Le passage à l'acte est à redouter en fuite, suicide, automutilations.

Mélancolie délirante (étudiée par Seglas) : plaintes mélancoliques à tonalité affective pénible, monotone, pauvre, plus riche en émotions qu'en contenus idéiques, passifs, divergents ou centrifuges, c'est-à-dire qu'elles s'entendent progressivement avec l'entourage et l'ambiance du patient. L'entourage est progressivement englobé dans le pessimisme délirant du patient. Pensée : le sujet se sent responsable du malheur de ses proches, ils vont périr avec moi, le destin est subit passivement avec accablement et désespoir. Les thèmes sont : les idées de culpabilité et l'indignité concernant des 'crimes inexpiables' qui demandent le châtiment capital ou la damnation éternelle, idées de deuil et de ruine avec conviction de mort des proches, de perte de bien et de fortune, idées hypocondriaques avec certitude d'avoir une maladie mortelle, parmi elles le syndrome de Cotard qui condense les idées de damnation, d'immortalité et de négation d'organes, idées d'influence et de possession diabolique, idées de persécution.

On peut remarquer diverses étapes de la réflexion freudienne sur la dépression :

- Naissance de la psychanalyse : remarques de Freud dans divers manuscrits (G pour Fliess) avec deux idées de Freud : l'état de détresse du nourrisson et la douleur psychique. La première se rapproche de la dépression adulte et est consubstantielle de l'état du nourrisson qui dépend entièrement d'autrui pour la satisfaction de ses besoins qui est impuissant pour accomplir seul l'action spécifique propre à mettre fin à son état de tension interne. L'état de détresse qui fait naître la reproduction hallucinatoire du désir et s'explique par l'omnipotence de la mère dont l'enfant est dépendant. Cet état est le prototype de toute situation traumatique, ainsi tous les dangers internes ont un caractère commun : perte ou séparation de l'objet entraînant l'augmentation de l'attention. Le sujet se voit incapable de maîtriser ses excitations d'où la génération du sentiment de détresse. Freud rattache l'état de détresse du nourrisson à la pré-maturation de l'être humain, c'est-à-dire au fait que le bébé humain est à sa naissance achevé, alors que le bébé animal est jeté dans le monde.

Dans l'état de dépression adulte la séparation avec l'objet investit est essentielle. Notion de douleur psychique développée dans 'Inhibition, symptôme et angoisse' (1924) et dans 'G'. La douleur apparaît, différenciation avec l'expérience de satisfaction et le couple plaisir/déplaisir qui gère la satisfaction du désir. En même temps, la douleur est décrite comme une rupture de barrière, une implosion ou hémorragie interne comme un trop plein d'excitation qui entrave toute activité de liaison même au niveau des processus primaires. La douleur est donc une déchirure d'une enveloppe qui n'arrive pas à se cicatriser et la douleur est placée au-delà de l'action du couple plaisir/déplaisir. Pour certains psychanalystes modernes, c'est la problématique de la douleur qui représente un des éléments qui fait que Freud introduit la notion de pulsion de mort dans 'Au-delà du principe de plaisir'.

- Karl Abraham (1912) écrit 'Préliminaire à l'investigation et au traitement psychanalytique de la folie maniaco-dépressive et des états voisins'. En 1924, 'Esquisse d'une histoire du développement de la libido basée sur la psychanalyse des troubles mentaux'. La question de la mélancolie est présente dans le dialogue entre Freud et Abraham.

- Melanie Klein (1934) 'Contribution à la psychogénèse des états maniaco-dépressifs'. J.B. Pontalis, 'L'écorce et le noyau', 'Entre rêve et la douleur'. Autres auteurs : Widlöcher, Fedida, Kristeva, Rosoleto.
Concepts qui nous aident à comprendre la mélancolie : stade oral et anal, incorporation - introjection - identification, Surmoi, narcissisme, deuil et douleur psychique.

- 1912, Abraham analyse le rapport de la folie maniaco-dépressive avec la névrose obsessionnelle, mais aussi l'importance du sentiment de culpabilité dans le rapport avec les sentiments d'incertitude et de doute, l'importance du sadisme refoulé, la distinction surmoi mélancolique et obsédé.
Analogie entre mélancolie et état de deuil.

- 1914, Freud pousse plus loin cette idée d'analogie qui représent un des aspects typiques de la méthodologie de la psychopathologie psychanalytique qui consiste dans la comparaison entre un phénomène normal et la pathologie (deuil et mélancolie). Le phénomène de deuil = réaction à une perte d'une personne ou d'une chose (liberté, idéal), ce n'est pas un état mobile dans la mesure où il est surmonté après un laps de temps plus ou moins court. La mélancolie comme le deuil se manifeste par une humeur dépressive, douloureuse par la perte de l'intérêt pour le monde extérieur, de la capacité d'aimer, de l'inhibition de toute activité mais dans le deuil il n'y a ni abaissement du sentiement de soi, ni attente délirante de la punition comme dans la mélancolie.

Ces reproches cadrent mieux avec les traits de l'objet que ceux du sujet lui-même.

Les plaintes du mélancolique seraient des plaintes accusatrices. L'investissement de l'objet ne s'avère pas résistant, fut-ce supprimé, cependant la libido libre n'est pas déplacée sur un autre objet mais ramenée dans le moi. Là, elle sert à instaurer une identification du moi avec l'objet abandonné. 'L'ombre de l'objet tomba ainsi sur le moi qui peut alors être jugé par une instance particulière comme un objet, comme l'objet délaissé'.

La mélancolie représente à côté de la névrose obsessionnelle la structure pathologique qui a incité Freud à postuler l'existence d'une instance intrapsychique dont le rôle essentiel consiste à juger l'action et la pensée du Moi = Surmoi différemment de l'identification hystérique (oedipienne), il s'agit dans la mélancolie d'une identification narcissique. Elle se caractérise par la régression de l'investissement de l'objet vers la phase orale de la libido qui appartient encore au narcissisme. Cette phase est caractérisée par une forte ambivalence affective, le sujet s'accuse lui-même d'avoir voulu la perte de l'objet d'amour. Le suicide exprime ces tendances sadiques retournées contre soi-même. Ainsi, dans la régression à partir du choix d'objet narcissique, l'objet a été supprimé mais il s'est avéré plus puissant que le Moi lui-même. Deux situations opposées : état amoureux le plus extrême, suicide. Le Moi, bien que par des voies tout à fait distinctes, est terrassé par l'objet.

Le complexe mélancolique se comporte comme une blessure ouverte et vide. Le Moi va jusqu'à son appauvrissement total. Même le désir de dormir peut être entravé d'où la fréquence des insomnies chez le mélancolique.

Au point de vue topique, Freud affirme le fait que le combat entre l'amour et la haine dans la mélancolie se situe essentiellement dans l'inconscient, au niveau des traces mnésiques de choses. Ce que la conscience connaît du travail mélancolique n'est pas la part essentielle de celui-ci.

L'introduction de la seconde topique se trouve en rapport avec le travail sur la mélancolie, ça apparaît dans 'Névroses et psychoses' (1924). Il affirme 'la névrose de transfert correspond au conflit Moi / monde extérieur'. Or, il place la mélancolie comme une névrose narcissique. Des auteurs modernes ont défendu la position de l'appartenance de la mélancolie à un registre différent de celui des psychoses et des névroses, en réhabilitant ce concept aux névroses narcissiques avec le concept lacanien comme miroir.

- En 1926 dans 'Inhibition, symptômes et angoisses', Freud repose la question du caractère douloureux de la séparation d'avec l'objet et du rapport entre douleur psychique et douleur physique. Pourquoi le langage courant utilise le même terme pour les deux situations. La douleur physique apparaît quand un stimulus attaquant la périphérie ou l'intérieur du corps, quand il fait brèche dans les dispositifs de pare-stimulus et agit dès lors comme un stimulus pulsionnel continu. Or, dans le cas de la douleur psychique, la représentation de l'objet hautement investie affectivement joue le rôle de l'endroit du corps investi par l'accroissement du stimulus. La continuité du processus d'investissement et l'impossibilité de l'inhiber produisent un état de douleur psychique.

Abraham est le premier psychanalyste qui possède une clientèle plus riche de compassion mélancolique. Ses références les plus importantes se trouvent dans 'Esquisse d'une histoire du développement de la libido basé sur la psychanalyse des troubles mentaux' (1924). C'est lui qui fonde les bases d'une psychopathologie psychanalytique après Freud. Il développe la théorie freudienne des stades pulsionnels à partir, non pas de l'étude de l'enfant mais, d'une pathologie de l'adulte. Il part de la constation d'une identité symptomatique entre psychose maniaco-dépressive (intervalle libre) et névrose obsessionnelle. Hypothèse que la mélancolie soit fixée à la fois au stade sadique anal de la perte de l'objet et au stade cannibalique (oral agressif). Un exemple d'intersection de la fixation à ces deux stades est représenté par la présence des fantasmes nécrophages fréquents chez les mélancoliques. Le corps détruit, fantasmatiquement, est assimilé à un produit d'exonération, à une selle et ultérieurement il sera incorporé cannibaliquement. Abraham s'occupe du problème de choix de la mélancolie.

Il met en évidence les facteurs :
- Constitutionnels : renforcement constitutionnel de l'érotisme oral
- Fixation privilégiée à l'étape orale du développement de la libido
- Blessure grave du narcissisme infantile par déception amoureuse survenue avant la maîtreise des désirs oedipiens
- Répétition de cette déception pendant la vie adulte

Klein a pour mérite d'avoir décrit une phase du développement infantile qui présente une profonde analogie avec le tableau clinique de la dépression. Cette phase s'institue aux environs du quatrième mois et est progressivement surmontée au cours de la première année. On trouve régulièrement chez les enfants un passage d'exubérance --> accablement caractéristique des états dépressifs. Les caractéristiques sont :

- La personne totale de la mère n'est pas perçue, elle est prise en considération comme objet pulsionnel et est introjectée
- Les pulsions agressives et libidinales s'unissent dans la visée d'un même objet, les mécanismes de clivage, de déni, d'idéalisation, de contrôle omnipotent de l'objet sont remplacés par l'inhibition de l'agressivité et la réparation de l'objet endommagé. Ce mécanisme de réparation se produit quand la position dépressive peut être dépassée.

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