vendredi 4 mars 2011

L'imago...

J. Lacan définit le complexe comme la fixation d’une " imago", représentation inconsciente d’une réalité déterminée (le sevrage, l’intrusion, l’Œdipe), intégrée par le sujet à travers « un procès dialectique qui fait surgir chaque forme nouvelle des conflits de la précédente avec le réel » (p. 28). Or, ce sont certaines expériences sociales, comme l’arrivée d’un petit frère, inscrites dans une « structure culturelle de la famille » (p. 24) déterminée, telle la société patriarcale du début du XXe siècle, qui exigent « une objectivation supérieure de cette
réalité ». Cela implique par conséquent « que le complexe est dominé par des facteurs
culturels ».
Couramment appellé ainsi, l'Imago traite du malaise issu de « la séparation prématurée » du nouveau-né de la matrice intra-utérine, séparation constitutive du complexe du sevrage et « que nul soin maternel ne peut compenser » (p. 34).
A la nostalgie (Sehnsucht) freudienne du père de la horde, Jacques Lacan ajoute la « nostalgie de la mère » ressentie d'une part innée : « animal à naissance prématurée » qu’est l’homme. Or, si cette imago maternelle n’est point sublimée afin de répondre aux exigences de la réalité extérieure mais résiste au contraire à ces exigences..., elle devient alors « facteur de mort » (p. 35).
Telle est donc l’explication lacanienne dans cet article de la tendance psychique à la mort, se révélant dans certaines pratiques symboliques comme la sépulture et toutes les autres « nostalgies de l’humanité » mais aussi dans certains suicides, certaines toxicomanies et anorexies, où le sujet cherche à retrouver l’imago de la matrice intra-utérine.
A cette divergence théorique entre S. Freud et J. Lacan au sujet de la tendance psychique à la mort se noue celle au sujet du narcissisme.
Sigmund Freud , lui, émet l’hypothèse d’un "narcissisme primaire" dont la définition s’oppose à la conception lacanienne de l’imago maternelle : « La naissance n’est pas vécue subjectivement comme séparation de la mère, car celle-ci est, en tant qu’objet, complètement inconnue du fœtus mais entièrement narcissique »(5). Les instances du surmoi, de l’idéal du moi et du moi idéal en sont les héritiers, les métaphores de ce narcissisme primaire à jamais perdu dans lequel le sujet se suffit à lui-même, et inclut la totalité du réel!
L’auteur des Complexes familiaux rejette cette hypothèse freudienne parce que le "narcissisme" présuppose l’existence de " l’image de soi" qui est absente de la structuration subjective du petit d’homme du moins jusqu'au stade miroir. De fait, afin de surmonter le complexe du sevrage doit advenir le complexe d’intrusion soit la rencontre ou plus précisément " l’identification avec l’image du semblable" durant cette phase du miroir, et pour que le morcellement du corps se dissipe et que le masochisme qu’implique la nostalgie de la matrice se sublime en un sadisme dirigé vers les objets environnants et notamment « l’identification au frère […] fournit l’image qui fixe l’un des pôles du masochisme primaire. Ainsi, la non-violence du suicide primordial, engendrera la violence du meurtre imaginaire du frère. » (p. 40). Tandis que Sigmund Freud pose l’hypothèse d’un narcissisme originaire, Jacques Lacan défend l’avènement d’une phase narcissique inscrite dans ce registre de l’image, et seule l’intervention d’un troisième terme, l’imago paternelle, cette instance supra-individuelle, pourra conduire le sujet hors de cet univers narcissique!!!

La continuation de notre tour d’horizon des premiers écrits lacaniens nous permettra d’introduire plus longuement cette phase oedipienne durant laquelle le sujet s’inscrit dans le registre du symbolique. Toutefois, nous pouvons souligner ici que si le concept de symbolique est absent de cet article de Jacques Lacan, nombre de ses formulations le préfigurent. Ainsi, lorsqu’il souligne que la famille établit « entre les générations une continuité psychique » à travers « la transmission de la culture » (p. 25), nous pensons que la connaissance sociologique de Jacques Lacan lui permet d’entrevoir d’ores et déjà cette dimension essentielle de l’être humain qu’est le symbolique, ce qui nous autorise peut-être à atténuer l’effet de rupture de ‘‘son retour à Freud’’.

(1) « J. Lacan, De la psychose paranoïaque dans ses rapports avec la personnalité », note de lecture pour la Revue - Interrogations- , n°3, décembre 2006
http://www.revue-interrogations.org/article.php?article=64

(2) Nous ne pouvons que nous rallier à ce titre aux travaux de M. Zafiropoulos (Lacan et les sciences sociales, Paris, PUF, 2001) et du Centre de Recherche Universitaire qu’il dirige, Psychanalyse et Pratiques Sociales.
(3) E. Durkheim, « Le problème religieux et la dualité de la nature humaine », Bulletin de la Société française de philosophie, 1913, 13, p. 91.
(4) Dans la préface à la seconde édition des Règles de la méthode sociologique, E. Durkheim définit la sociologie comme « la sciences des institutions, de leur genèse et de leur fonctionnement » (Paris, Flammarion, 1988, p. 90).
(5) S. Freud, Inhibition, symptôme et angoisse (1925-1926), Paris, PUF, 1965, p. 54.

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