mercredi 5 janvier 2011

La théorie du chaos et complexité

Les fondements d'une nouvelle psychologie ?
Paru dans Psychologie Québec, novembre1998

Au mois d'août 1998 se tenait à Boston le 8 ème congrès pour l'application des nouvelles sciences de la complexité en psychologie. Ce congrès international organisé par la Society for Chaos Theory in psychology and Lifes Sciences regroupait plus d'une centaine d'intervenants (psychologues, psychiatres, mathématiciens, physiciens) provenant de différents pays qui présentaient leurs recherches et leurs théories concernant l'application des nouvelles sciences de la complexité.
Depuis la parution du livre Chaos: making new science de Gleick en 1987, cette science est en voie de former un nouveau paradigme qui influence déjà plusieurs secteurs de la science traditionnelle. Comme le mentionne Gleick (1987, p.282): "Avant 1986, aucun livre de physiologie ne contenait le mot fractal, en 1996 je pense que l'on ne trouvera pas un livre de physiologie qui ne contiendra pas ce mot". Cette nouvelle science appelée communément science de la complexité ou science du chaos a vu le jours dans les années soixante et s'est développée notamment grâce à la puissance de calcul des nouveaux ordinateurs. Elle regroupe actuellement plusieurs courants qui partagent notamment le fait de reconnaître le rôle du chaos dans la genèse de la complexité. Trois tendances majeures s'appliquent a ces théories soient: l'étude des systèmes dynamiques et chaotiques, dont par exemple la modélisation des systèmes complexes comme la météo ou l'économie, la deuxième s'intéresse à l'auto-organisation des systèmes à laquelle on peut inclure les structures dissipatives du prix Nobel de chimie Prigogine et finalement la géométrie fractale qui se caractérise par son invariance d'échelle, c'est-à-dire le fait de retrouver la totalité dans la partie peut importe à quel niveau on observe la structure. Malgré tous ces développements, il existe une confusion autour du terme "complexité". Selon John Horgan (1995, p.106) on retrouve plus de 31 définitions différentes de la complexité. Cependant, la plupart s'entende sur le fait que la complexité peut émerger d'un état chaotique et surtout qu'elle peut émerger à partir d'interactions simples. La même difficulté s'applique au terme "chaos" depuis sa dénomination par Yorke en 1975. La meilleure définition de la science du chaos pour le champ de la psychologie est à mon avis est celle de Bütz (1996, p.24) "Chaos theory, as an unbrella term, describes a holistic process of adaptative transformation, where, over time, small instabilities may result in complex behavior, that may eventualy appear random and experienced as chaos by those accustomed to linear science.". Cette science s'applique donc à décrire comment les petites variations génèrent, avec le passage du temps, le chaos qui peut conduire à ce niveau supérieur de complexité.

La caractéristique fondamentale de ses systèmes complexes ( l'humain, la bourse, la météo), l' extrême dépendance aux conditions initiales, nous avons tous, en effet,entendu parler de l' effet papillon. Qui émet l'idée que plus un système devient plus complexe,si les parties sont reliées mais moins la causalité devient proportionnelle : loi de l'effet. Ainsi, dans l'exemple de la prédiction météorologique par exemple, si un détail aussi minime qu'un battement d'aile de papillon est négligé, nos prédictions deviennent chaotiques après un certains temps car ce petit détail peut conduire à une tempête lorsqu'il est plongé dans une courbe de rétroaction. Cette dépendance aux conditions initiales explique que l'on ne peut pas prédire la météo après deux jours, ce que l'on peut prédire c'est l'apparition d'une comète plusieurs siècles avant son apparition. Ce chaos cependant suivrait des schèmes d'ordre donnés. C'est avec l'avènement de la géométrie fractale, dont particulièrement les attracteurs fractals, que l'on a pu dégager et délimiter ces schèmes d'ordres à travers le chaos et d'en modéliser des comportements. La psychologie s'est souvent inspirée des sciences objectives de son époque pour créer ses modèles, prenons par exemple Erickson, Freud, Jung, il est donc normal qu'avec l'avènement de cette nouvelle science, des modèles théoriques et pratiques se développent. Généralement deux grands champs d'application sont associés à ce nouveau groupe de théories pour la psychologie soient: 1. Les mathématiques du chaos, la psychologie cognitive et la psychophysiologie.Les mathématiques du chaos sont utilisées de plus en plus pour le traitement des données de recherches de façon non linéaire. De nouveaux outils mathématiques comme les times series analysis, les attracteurs fractals par exemple sont utilisés de plus en plus pour rendre compte de la complexité des phénomènes observés et mesurés en sciences humaines. Le congrès développreait une section consacrée à ce thème. Pour ce qui est des applications au niveau de la psychologie cognitive, des auteurs comme Stuart Kaufman du Santa Fe Institute et Chris Langton, figure importante de l'intelligence artificielle, développent des modèles dont par exemple les structure coopératives, les automates cellulaires qui pourait aider à comprendre l'organisation en réseau, les réseaux de neurones et ainsi mieux comprendre les corrélations entre les comportements individuels et comportements collectifs d'un système. Ces modèles permettent aussi de voir comment l'ordre émerge du chaos et/ou lorsque les systèmes arrivent à se maintenir à ces frontières chaotiques.En psychophysiologie, on observe des dynamiques chaotiques dans les bulbes olfactifs (Freeman dans, Masterpasqua et Perna, 1997, p.16), qui indiquent que le chaos constitue une caractéristique essentielle de l'activité neuronale collective dans tous les processus de perception.
On peut comprend aussi inclure le rôle du chaos interne dans le fonctionnement du cœur par exemple (Butz, 1997, p. 74). Suite à ces découvertes, on a pu modifier par exemple les ondes d'impulsion dans les systèmes artificielles de stimulation cardiaque . Le chaos fournirait ainsi un modèle de souplesse selon les auteurs. Le congrès offrirait ses exposés dans ces secteurs de recherche. Le deuxième grand champs d'application est la création de nouvelles métaphores pour la psychologie théorique et la psychothérapie.Dans l'application pratique et métaphorique de la théorie du chaos en psychologie, le congrès présentait par exemple un panel sur la créativité qui émerge des attaques de paniques(hypoxie), les dynamiques archétypiques de Jung étaient aussi associées aux dynamiques des attracteurs en théorie du chaos,on y a retrouvé un panel intéressant sur une relecture du doublebind de Gregory Bateson et des concepts de dynamiques non-linéaires.(théorie) Dans le prolongement de se secteur, se tenait aussi un atelier d'une journée sur l'intégration directe pour le champs clinique en psychothérapie très intéressant. Michael Bütz, le présentateur et auteur de plusieurs articles et récemment de deux excellents livres est actuellement l'un des plus créatif dans ce domaine. Dans l'atelier, l'auteur démontrait le fait de considérer le chaos comme un état à tolérer et non à fuir si le système psychique pouvait le permettre. L'auteur faisait aussi la différence entre changement et transformation,car la personnalité humaine se transforme,mais ne se change pas comme le veut la tradition populaire mécanique. Il était fait mention aussi du rôle de la rétroaction positive et négative(feedbacks) qui développe ou rigidifie le système. Ainsi, la répétition du mécanisme apparemment simple d'évitement par exemple, avec le passage du temps, comme lors de l'effet papillon peut faire monter une anxiété, un chaos psychologique qui inhibe l'adaptation. Juste assez de chaos, génère la complexité, trop de chaos paralyse le système. La complexité et la créativité émerge donc aux frontières du chaos. Ceci nous questionne sur certains cas d'abus de médication qui priverait l'individu de son chaos créateur.Comme pour l'artiste par exemple... (Voir à ce sujet l'article de Bütz sur la Psychopharmacologie). Ainsi, tolérer le chaos dans ses limites raisonnables, se maintenir dedans, affronter ses peurs par exemple aurait de meilleures chance de transformer le chaos en complexité et une meilleure adaptation serait possible, ce que tout behavioriste connait depuis longtemps. Il démontrerait aussi comment les attracteurs permettent de mieux comprendre les dynamiques des complexes psychiques dans le champs psychanalytique par exemple. (Pour en savoir plus sur le rôle des attracteurs en lien avec les complexes, voir l'article que j'ai écrit dans la revue Frontière à l'hiver 1998.)Mais le plus intéressant était de considérer la flèche du temps et de voir comment se situe l'individu dans son développement sur celle-ci. Le désir peut se mouvoir dans le temps, mais le système existe toujours dans le présent, avec les traces mnésiques de ses transformations irréversibles dont parle Prigogine. En identifiant où est le désir, où est investie l'énergie psychique, on peut intervenir plus efficacement.Cerner la pathologie en est le but. Dans l'anxiété, l'énergie disponible est tournée vers le futur, l'anxiété sera liée au fait de ne pas pouvoir prédire ce qui va arriver suite et face à un événement nouveau. Dans la dépression, l'énergie est dirigée vers le passé et le système est bloqué.Pour ceux qui aimerait poursuivre leurs recherches dans ce domaine, l'APA publiait à l’automne 1997 un excellent livre intitulé : " The psychological meaning of chaos : Translating Theory Into Practice ". Il existe aussi quelques revues spécialisées dans le domaine dont la plus connu: "Nonlinear Dynamics, psychology and the Life Science". On retrouve aussi des éléments utiles de ces théories dans la mesure de la personnalité (Voir le numéro spécial de psychological assessment, 1995, Vol 7 sur la théorie du chas dans la mesure).Ce champs de recherche est à mon avis très prometteur pour toute la science traditionnelle. La psychologie, qui selon certain, plafonne actuellement sur le plan théorique, pourrait bénéficier grandement de ce nouveau paradigme. La plupart des publications en psychologie de ce courant se situent après 1995. Il semble donc que ce nouveau champs risque de se développer dans toutes les sphères de la psychologie d'ici quelques années. Ce paradigme offre la possibilité d'intégrer plusieurs approches en unifiant les théories. Il questionne le rôle de la pathologie, relativise la normalité et nous invite à nous rapprocher de la nature sous ses formes les plus brutes. Comme la si bien illustré Michael Crichton dans le film Jurassic Park, la nature trouve toujours son chemin, même si son chemin est parfois, bien malgré nous est chaotique…Allez savoir ce que nous réserve l'avenir ? Cela étant dit, cela peut devenir une représentation morbide et singulière de la philosophie générale planétaire...

Références Butz, M.R (1994) Psychopharmacology: Psychology's Jurassic Park ? Psychotherapy, 31, 692-699Butz, M.R, Chamberlain, L., & McCown, W.G (1996) Strange attractors, chaos, complexity and the art of family therapy, New York, Wiley.Butz (1997) Chaos and complexity: Implication for psychological theory and practice, New York, WileyGleick (1987) Chaos Making a new science, New York, Viking PenguinHaynes S.N (1995) Introduction to the special section on chaos theory and psychological assessment. Psychological Assessment, 7, 3-4.Horgan (1995) From complexity to perplexity. Scientific American, 272 (6), 104-109Masterpasqua et Perna, (1997) " The psychological meaning of chaos : Translating Theory Into Practice, American Psychological Association, Washington Vézina J.F (1996) Du complexe personnel aux complexes collectifs: Une relecture métaphorique de Jung à partir de la théorie du chaos. Essai, Université Laval, Québec.

Vézina, J.F (1998) Trauma et chaos psychologique: Des incontournables à relier, Frontière, Vol 10, 3, Montréal

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